AACom — "Compter en situation coloniale dans l’Afrique sous domination française (1830-1962)"

Appel à projets

Appel à communication avant le 15 décembre 2025

Colloque de clôture du programme ANR-21-CE41-0012 "Compter en situation coloniale"
Compter en situation coloniale dans l’Afrique sous domination française (1830-1962) 

qui aura lieu les 4 et 5 juin 2026, à l'Amphi Weber, Université Paris Nanterre, Paris

organisé par IRHiS–UMR 8529 (ULille, CNRS), IDHE.S–UMR 8533 (Universités Paris 1 Panthéon Sorbonne et Paris Nanterre), TELEMMe–UMR 7303 (Aix-Marseille Université)

Au moment où le Président Trump limoge le directeur du bureau fédéral des statistiques qui vient de publier des indices défavorables au gouvernement et réclame des statistiques « honnêtes », alors que certains indicateurs dramatiques comme la forte hausse de la mortalité infantile en France ne suscitent aucune réaction et que les populismes restaurent de vieilles hantises (submersion migratoire ou fraude sociale massive) sans chiffrer ni citer leurs sources, les statistiques et leurs producteurs sont malmenés. Ces menaces qui pèsent sur le fonctionnement des démocraties contemporaines montrent bien à quel point la production et la diffusion de ces statistiques est un enjeu politique crucial dans la gouvernance des États ou des entreprises. L’histoire rappelle que c’était aussi le cas aux XIX et XXe siècles dans la gestion des territoires sous domination européennes comme l’Afrique coloniale française.

Comprendre les effets de ces menaces sur le fonctionnement des démocraties contemporaines, préciser leurs liens avec le délitement des États et le renoncement de la majorité des dirigeants politiques à gouverner pour l’intérêt collectif, suppose de recourir à l’histoire. 

Le programme de recherche COCOLE (« Compter aux colonies », https://chiffrempire.hypotheses.org/) financé par l’ANR (2022-2026) a étudié la fabrication et les usages de chiffres comptables et des statistiques produits par les administrations coloniales, les entreprises et d’autres acteurs dans l’Afrique sous domination française (départements algériens, protectorats d’Afrique du Nord, territoires sous mandat, et colonies) entre le début du XIXe siècle et les indépendances (années 1960)Il a mis en évidence les spécificités des chiffres coloniaux, produits par et pour les autorités coloniales et les colons, et permis d’interroger le rôle et la place de la quantification dans le processus de colonisation. 

Parmi d’autres résultats, ses travaux soulignent l’écart entre les chiffres et les réalités du terrain et la force des catégories qui enferment les populations dominées. Ils analysent l’attitude des commanditaires de ces chiffres, autorités et patronat colonial qui cherchent à façonner les colonies à l’image de la métropole en y imposant leurs repères comme fondement de leur domination. Plusieurs enquêtes montrent, en effet, que ces chiffres contribuent à une certaine connaissance des territoires ainsi qu’à leur organisation, à leur « mise en valeur », à la répartition de leurs richesses et à leur inscription dans la hiérarchie économique et financière. Ce qui n’empêche pas les dominants de renoncer parfois aussi à compter, souvent faute de moyens, laissant des activités en dehors de la quantification (invisibilisation du travail des femmes et des enfants, de la main-d’œuvre contrainte, du chômage, etc.).

Les principales contributions du programme Cocole seront présentées et discutées à l’occasion du colloque, tandis que d’autres communications viendront enrichir le panorama et combler certaines lacunes. Il s’agira d’analyser les relations entre enquêteurs et enquêtés et d’approfondir le rôle des producteurs et des prescripteurs de chiffres, celui des fournisseurs d’informations et celui des utilisateurs de ces chiffres en métropole et dans les colonies. Il s’agira aussi d’évaluer l’impact de la production et de la diffusion des chiffres et des classifications en métropole et dans les territoires sous emprise coloniale et, plus largement, de saisir les mécanismes de la transmission de l’information et les usages des chiffres à différentes échelles (internationale, fédérale, étatique, régionale, entreprise, inter-individuelle). Les travaux présentés pourront également montrer en quoi les catégories sont porteuses d’un rapport de domination et préciser davantage ce que les chiffres nous apprennent de la relation coloniale, notamment pour saisir l’agentivité des populations colonisées, qui ont pu chercher à se soustraire aux entreprises de dénombrement, à les contester de diverses manières ou à produire des données alternatives. 

En somme, ce colloque entend susciter une réflexion collective sur ce que compter veut dire en situation coloniale et sur les conventions statistiques et comptables. Il devrait permettre de préciser comment et en quoi l’empire des nombres éclaire le processus de colonisation, comment il y contribue et comment il participe aussi au « colonial gaze », au prisme déformant et déformé que les administrations ont des territoires colonisés, et plus largement de leur propre pouvoir. 

Le programme COCOLE est centré sur l’empire colonial français en Afrique, mais les communications proposées peuvent aborder toutes les situations coloniales contemporaines (depuis le XVIIIe siècle) pour ouvrir à une approche comparative entre les colonies anglophones, francophones, lusophones, etc. Le colloque pourra également accueillir des propositions qui enquêteraient sur les pratiques comptables et les dénombrements déjà en vigueur à la veille de l’occupation coloniale et sur la manière dont ils ont été bousculés par cette dernière ; ou qui chercheraient à restituer la décolonisation dans toute son épaisseur et à penser les continuités et ruptures suscitées par la naissance d’États statistiques indépendants. De la même façon, la contribution de tous les champs disciplinaires à cette démarche scientifique est bienvenue pour améliorer la compréhension du processus de colonisation et des relations de pouvoir et de domination portés par les chiffres.

L’intérêt porté aux matériaux bruts, aux coulisses des enquêtes et à la construction des catégories statistiques, mais aussi le rôle des chiffres dans le contrôle (du travail forcé, des migrations, des flux de marchandises, par exemple) et le croisement des échelles (partant des situations individuelles jusqu’aux usages des statistiques coloniales par les institutions internationales) devraient montrer combien le chiffre est structurant et comment, en classant, il stigmatise et exclut. Il s’agira aussi d’interroger les inévitables approximations et les stéréotypes, dissimulées sous la rigueur du nombre, qui entretiennent l’illusion d’un savoir-pouvoir chez les administrateurs et dans les milieux économiques coloniaux et qui façonnent les sociétés autant qu’elles en déforment les images.

Les propositions de communication sont à soumettre pour le 15 décembre 2025 à beatrice.touchelay[chez]univ-lille[point].fr avec en objet « colloque ANR Cocole ». On doit y trouver le titre de la communication, une brève présentation de son contenu et des sources mobilisées, ainsi que 5 mots clés, le tout en une page. Une seconde page comportera une brève bibliographie de l’auteur.e (situation professionnelle rattachement cursus et dernières publications). Les communications retenues seront sélectionnées par le comité scientifique fin janvier 2026 et leurs auteurs.es seront informé.es dans la foulée.

Il sera possible d’intervenir à distance.

Comité scientifique
Xavier Daumalin, Antoine Fabre, Arnaud Clermidy, Olivier Feiertag, Pierre Labardin, Annick Lacroix, Baptiste Mollard, Laure Piguet, Léa Renard, Béatrice Touchelay, Hugo Vermeren 

Quelques publications des partenaires du programme
Fabre, A., & Labardin, P. (2024), « Les sociétés concessionnaires françaises et le secret des affaires : le cas de l’Afrique-Équatoriale française lors de la crise du caoutchouc de 1913 », Histoire & mesure39 (XXXIX-1), 19-50.
Labardin, P., Loizeau, J., Fabre, A., & Boyer, C. (2024), « L’hévéa qui gâche la forêt », Revue française de gestion315(2), 143-164.
Numéro spécial Statistiques coloniales (2024), Histoire & MesureHistoire & mesure39 (XXXIX-1)/ https://journals.openedition.org/histoiremesure/20920
Touchelay, B. (2024), « Ce que compter veut dire en situation coloniale et impériale », Histoire & mesure, XXXIX-1 | 2024, 5-18.
Touchelay, B. (2023), « L’industrie coloniale ou les silences révélateurs de la statistiques (empires belges et français mi XIXe-mi XXe), in Régis Boulat et Laurent Heyberger, Les industries aux colonies, les indigènes en industrie (XVIII-XXe s.), Belfort, Éditions UTBM.