Les familles, leur mémoire photographiques, la mise en scène des apparences
La plupart des familles conservent des traces de leur passé sous forme de photos.
- Mais comment les conserve-t-on ?
- Comment les exploite-t-on ?
- Jouent-elles un rôle dans la cohésion familiale ?
Grâce à la numérisation, les photographies deviennent aujourd'hui des documents "historiques" et ethnographiques à part entière, au même titre que les archives écrites.
L'étude présentée a été faite sur un échantillon de photos et il révèle un certain nombre de mise en scène de l'apparence ordinaire.
Enquête ethnographique
On s’interrogera sur ce qu’est (dans tel milieu, à telle époque, pour telle famille, etc.) le “ mémorable ”, le fait, insignifiant à tant d’autres égards, digne pourtant d’être retenu et “ immortalisé ”.
Par le détour de la photographie “ banale ”, conventionnelle, familiale, la parole sera ainsi rendue à de nombreux “ petits mondes ”, des micro-univers, muets désormais et souvent oubliés.
Néanmoins, grâce à la numérisation, les photographies les représentant deviendront aussitôt documents “ historiques ” et ethnographiques à part entière, au même titre que les plus prestigieuses archives écrites. Les dimensions micro-historiques et micro-ethnographiques de la plupart des pièces de ce corpus ne devant évidemment pas être confondues avec celles des problèmes délicats que soulève leur analyse et leur interprétation.
Une sémiologie du “ paraître ” quotidien ou de la mise en scène de l’apparence ordinaire n’est pas moins instructive qu’une sémiologie de l’œuvre d’art spectaculaire et inédite.
Les familles et leur mémoire photographique
À travers ces images d’individus ou de groupes posant devant l’objectif du photographe professionnel ou amateur, l’homme se montre, s’exhibe même parfois, souvent à son insu, mais d’une manière finalement spontanée et sincère. Et ce même individu dévoile ce faisant, outre d’innombrables détails matériels de son environnement immédiat, les codes socioculturels subtils qui régissent ses propres conceptions du visible (Que montre-t-on ? Cache-t-on ? Comment s’y prend-on ?) et de l’apparence, que ce soit celle du corps, de l’intimité, de la famille, du travail, du statut professionnel, de la fortune, etc..
Les clichés de photographes, professionnels ou amateurs, sont en effet des témoins irremplaçables de l’exhibition publique de soi (la plupart des photographies sont destinées à être montrées et vues, au moins par une personne), de la mise en scène de la “ vie quotidienne ” ou de ses grands événements (naissance, mariage, service militaire…), de la “ stéréotypie ” des postures corporelles et des différentes modes vestimentaires au cours de cette période.
Le choix des circonstances de la photographie (événement familial, temps de travail, fête de quartier, cérémonie officielle, etc.), du cadre matériel dans ou devant lequel fut pris le cliché (intérieur domestique, voie publique, cabinet du photographe, atelier d’artisan, etc.) sont autant de témoins “ bavards ” quoique muets des lieux et des moments que l’on a jugés suffisamment importants pour être “ immortalisés ” par la photographie. Dans ces différents contextes et dans ces cadres matériels, l’homme se met en scène. Il adapte à ceux-ci la posture corporelle, les gestes, l’expression du visage, les vêtements ou les objets qu’il tient entre les mains. Il choisit enfin le décor, artificiel ou “ naturel ”, dans lequel il se place lui-même, le plus souvent au centre et au premier plan (reléguant le cas échéant au second plan le monument ou le panorama prestigieux).
Martine Aubry, Ingénieur de recherche -> martine.aubry[at]univ-lillefr
Crédits des photos => © Sources personnelles
Les familles et leur mémoire photographique
Au moment de la collecte de clichés conservés dans les archives familiales, on doit être attentifs à divers éléments qui sont autant d’indices socio-ethnographiques du lien qu’entretient une famille avec sa propre mémoire photographique.
Celle-ci peut aussi faire défaut pour des raisons liées au contexte historique (destruction de guerre) ou familial (divorces, remariages, etc.).
- Lieu de rangement des photographies dans la maison
- La pièce (grenier, chambre des parents, chambre des enfants qui ont quitté la maison)
- Le meuble (armoire, placard, commode, secrétaire, valise...)
- Mode de rangement et de classement des photographies
- dans un album photographique
* album ancien, constitué du vivant des personnes photographiées, albums spécifiques réalisés à l'occasion du mariage
* album plus récent, constitué par les descendants à partir de clichés familiaux anciens
* album achevé / inachevé
* dans une boîte
+ enveloppe usagée, enveloppe neuve, boîtes de cartes de visite, sachets plastiques transparents, pochette de laboratoire photographique
+ avec quels autres objets les photographies sont-elles rangées ? Médailles, diplômes, menus de banquet, pièces de monnaie, etc.
Les albums familiaux
Certaines familles ont perpétué cette tradition de l'album photographique. La transmission de ces biens de familles permet aujourd'hui de les mettre en valeur.
Selon les cas, ils sont remplis simplement de photographies classées par années, mais quelquefois des dessins et des annotations plus spécifiques s'y retrouvent, encadrant les photographies de famille.
Les gardiens de la mémoire
- Qui conserve les photographies anciennes dans la famille ?
- Qui entretient cette mémoire photographique ?
Les espaces de la mise en scène
- Le studio photographique (avec ses décors, ses accessoires, les retouches)
- Les espaces publics extérieurs (place, rue, jardin, stade, cour d'école...) et intérieurs (café, salle de spectacle...)
- L'espace privé extérieur (devant la maison, devant la grange, dans la cour...) et intérieur (scènes familiales dans les pièces d'habitat)
Approche ethnographique et historique des photos de famille
Premiers clichés
Dans les premiers de la vie, des clichés spécifiques sont réalisés avec le nouveau-né de la famille.
Pose, chemisette à col enrubanné, une épaule découverte, coussin (peau de mouton ou à fleurs), colliers d'ambre ou de corail, sont autant d'éléments que l'on retrouve de Gravelines (Nord) à Guéret (Creuse) en passant par Paris.
Dans les premiers de la vie, des clichés spécifiques sont réalisés avec le nouveai-né de la famille :
- nu sur une peau de bête, ou des coussins moelleux.
On peut remarque que très souvent un collier d'ambre est mis au cou du bébé.
Ce type de position photographique se retrouve encore dans les années 50.
Avec une petite chemisette pas toujours à la taille du bébé si ce dernier est plus joufflu que le précédent ... I
ls ont pratiquement tous une chaîne avec médaille, ou un collier d'ambre autour du cou, quelquefois même les deux.
Selon les cas, la chemisette est passée entièrement, la plupart du temps une seule manche est enfilée.
Là aussi, l'enfant pose sur une peau de bête ou un coussin.
Les photographies pour lesquelles nous avons retrouvé une date oscille entre 1914 et 1931.
Un ruban de velours noir est toujours passé dans la broderie du haut de la chemisette.
Certaines photos sont plus originales.
Nous avons découvert au Musée de la Vie rurale de Steenwerck deux bébés "chemisettes" posant dans un nid.
Après les chemisettes, on trouve un certain nombre de photographies beaucoup plus habillées, et même chaudement (ensembles de laine tricotée, cape...)
Dans ces premières années de la vie, il n'y a aucune distinction de sexe : garçons ou filles, ils adoptent les mêmes poses et les mêmes habits, lorsqu'ils ne posent pas nus... Les choses changent avec les débuts des premiers pas de l'enfant.
On trouve dans cette catégorie des photos de baptêmes : belle robe, petites chaussures, et toujours les colliers et les médailles et bracelets.
Enfance
À partir du moment où l'enfant commence à marcher, les photographies évoluent.
Chez le photographe, les poses sont plus évoluées, d'autres éléments du photographe entrent en scène :
- Cerceau, poupée, balle...
- table, guéridon, chaise, tabouret haut, paravent, fleur, livres...
L'enquête et son développement
La mémoire et la connaissance du patrimoine d’un groupe humain ne passent pas uniquement par la conservation et la valorisation des lieux qu’il a bâtis et fréquentés ni par celle des produits de son activité économique, artistique, culturelle, administrative ou intellectuelle.
Les hommes sont aussi en eux-mêmes leur propre patrimoine. Les images visuelles qu’ils ont laissées d’eux-mêmes, dans la vie privée comme dans la vie publique sont autant de traces de leur existence et de leurs activités. L’invention de la photographie a permis la multiplication et la diffusion de ces images, tous les milieux sociaux finissant par être représentés et touchés par la pratique photographique.
Support matériel et vecteur de l’image de soi que le photographe ou les sujets eux-mêmes mettent en scène, l’image photographique restitue l’être humain dans son corps, dans ses postures et ses gestes ainsi que dans le monde, son « monde » tant matériel que symbolique, dans lequel le cliché l’a figé.
Elle permet d’appréhender les apparences, c’est-à-dire l’ensemble des signes corporels et matériels perceptibles par les sens, et parmi eux essentiellement celui de la vue, sens privilégié de la modernité.
Exemple d'analyse d'images et comparatif entre deux régions
Les types de photographies
Rites sociaux et religieux
Vie quotidienne
Les photographes
L'usage de la photographie
- retouche, colorisation de la photographie
- trace de punaisage, trace d'encadrement, traces de plus, photographies découpées (pour mettre dans un médaillon)
- photo familiale transformée en carte postale, en dos de miroir de sac à main,
- en tableau votif...
- correspondance au verso
- mention ou non des noms, dates et lieux
- gribouillages faits sur les photographies
Collier d'ambre
Depuis l'Antiquité, l'Ambre est connu pour ses propriétés apaisantes et ses vertus thérapeutiques. Aujourd'hui, les qualités de cette substance rare, sont admirablement mises en valeur en bijouterie et objets décoratifs. On lui prête également certaines propriétés : apaisantes et anti-inflammatoires des voies ORL. Il soulagerait l'asthme, les eczémas, les psoriasis...
Le Collier d'Ambre est traditionnellement offert aux nouveaux nés pour apaiser les douleurs causées par les poussées dentaires.
Anne-Marie Garat, Photos de familles. Un roman de l'album
Tout à chacun a au moins une fois feuilleté ce livre, consulté ses pages familières : l’album de famille. Vieilles photos, classées et légendées, ou jetées en vrac dans les tiroirs, les boîtes en carton, images de rien vouées à la conservation dévote, ou à l’abandon, l’oubli… Si la pratique sociale de la photo d’anonymes a longtemps été ignorée, voire méprisée, et sa production dépréciée comme genre populaire sans qualités, c’est que ce livre d’images anodines, souvent indigentes, relate l’ordinaire de la vie, chronique sa répétitive banalité. Or, sous son dehors normé et ses rituels, l’album cèle un récit violent, d’amour et de mort : le roman familial s’écrit en chambre noire.
Car la photo de famille obéit à la mémoire de soi et des siens, interroge l’autobiographie. Elle convoque l’origine, la filiation, l’appartenance et l’identité. Hantée par le secret, l’absence et la présence – leur puissance imaginaire –, elle établit un des liens les plus intenses avec l’histoire privée et l’histoire collective, dont le souvenir mué en fiction se construit à travers ces images, investies du pouvoir d’invoquer les fantômes. De l’argentique au numérique, une mutation profonde s’opère, transformant notre rapport à cette archive et lieu de mémoire ; occasion d’interroger les nouvelles images de l’album de famille…
Christine Bard, « Les photographies de famille commentées : une source sur l’habillement dans les classes populaires », Apparence(s) [Online], 1 | 2007, URL : http://apparences.revues.org/79