Axe transverse – Transversalité méthodologique et critique

Responsables : Mathieu Beaud, Tristan Martine

Au cours du quinquennal 2020-2024, l’axe transverse « Usages critiques du numérique dans les sciences historiques, artistiques et archéologiques » a pour objectif de fédérer l’ensemble des membres de l’IRHiS, développer une réflexion collective et critique autour des méthodes et technologies numériques et offrir un cadre propice au développement, dans ce domaine, de projets innovants en histoire, histoire de l’art et archéologie.

1. Penser le tournant numérique des sciences historiques, artistiques et archéologiques

       Alors que, depuis une dizaine d’années, la structuration du mouvement des humanités numériques – au sens d’une « transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique » (Manifeste des Digital humanities, 2010) – s’est affirmé, prenant une ampleur considérable dans l’ensemble des sciences humaines et sociales, il nous semble nécessaire de procéder à un pas de côté pour en saisir les conséquences proprement disciplinaires, en particulier dans la prise en compte de l’importance des outils numériques dans la reconfiguration des métiers d’historien, d’historien de l’art ou d’archéologue. Le triple ancrage disciplinaire de notre laboratoire (histoire/histoire de l’art/archéologie) sur une longue durée étendue de la période médiévale à nos jours, et l’expérience acquise depuis plusieurs années dans ce domaine constituent ainsi un atout majeur pour une exploration critique des conséquences du « tournant » numérique à l’œuvre dans les sciences historiques.

         En prenant appui sur les projets développés au sein de l’IRHiS – et dans d’autres unités de l’université de Lille comme l’Imaginarium de Tourcoing –, nous entendons particulièrement questionner les transformations de nos rapports aux sources ou aux œuvres/artéfacts, qu’ils soient visuels, quantitatifs ou textuels.

         Quelles sont les conséquences du développement de nouvelles technologies de numérisation, de reconstitution, de restitution ou encore de datation sur nos pratiques de recherche, nos analyses, nos pratiques d’écriture et de représentation graphique, ou dans nos rapports à la médiation des publics ? Quelles sont les possibilités offertes et les écueils ouverts par la constitution de corpus dits « massifs » ou de systèmes d’acquisition d’information ?

          La révolution numérique induit en effet un rapport différent aux sources et aux œuvres. On peut par exemple distinguer, d’une part, les sources historiques dites traditionnelles ainsi que les œuvres (objets d’art, monuments) dont l’accès est bouleversé par la numérisation et, de l’autre, les sources ou les œuvres contemporaines nées de la révolution numérique.

          Les premières sont de plus en plus dématérialisées, ce qui induit une approche à distance au document et au centre d’archive mais aussi un biais dans la démarche de recherche, cette dernière étant étroitement dépendante des campagnes de numérisation documentaire. À l’inverse, le document, l’œuvre ou le monument numérisés permettent d’accéder à de nouvelles analyses, à des points de vue inédits, qu’il s’agisse d’approches de détail ou d’ensemble. Les travaux de restitution en 3D des œuvres ouvrent quant à eux, de nombreux questionnements, notamment sur la place donnée à l’incertitude et à ses modes de représentations.

          Par ailleurs, le traitement semi-automatisé des textes en grande quantité ouvre de nouveaux horizons : les logiciels de lexicographie distinguent, en effet, les occurences de mots et leurs associations (analyse RCA) mais reconnaissent aussi le sens des phrases. De même, le traitement numérique des entretiens permet non seulement une transcription par reconnaissance vocale mais également une analyse du sens. Ainsi, le périmètre des recherches, notamment la détermination des sujets de thèse, peut se trouver affecté pour autant que les directeurs de recherche soient au fait de ces mutations technologiques et les doctorants formés à leur maniement.

          Les secondes intéressent aussi bien l’histoire contemporaine que l’art actuel. En effet, pour l’une, on dispose de nouvelles sources difficiles à manier (mails, forum, chat, blogs, microblogging tel twitter, réseaux sociaux, etc.) et pour l’autre, nombre d’œuvres sont nées du maniement de nouveaux outils numériques (vidéos, programmes informatiques, installations virtuelles, etc). De nouveaux protocoles d’étude doivent ainsi être mis en place, sans renier les apports de l’école méthodique (critique interne/critique externe).

           Les documents numériques posent des problèmes spécifiques : volatilité, abondance, fiabilité mais aussi parfois accessibilité moindre en ce qui concerne le « web profond » (Deep web). Autre cas de figure avec le web sémantique qui fournit un modèle permettant aux données d’être partagées et réutilisées entre plusieurs applications, entreprises et groupes d’utilisateurs (cf. https://www.w3.org/2001/sw/). Il peut permettre, par exemple, de dresser une cartographie du web révélant la structuration des acteurs d’un domaine particulier à partir de l’analyse des liens hypertextes et de l’intensité des références croisées. Ces archives numériques d’un genre nouveau sont une occasion de revisiter des sujets classiques de l’historiographie : par exemple, l’étude des rumeurs ne pourrait aujourd’hui se passer, non seulement d’une prise en considération des sites web complotistes, mais aussi d’une analyse des nouveaux modes de circulation des informations, des réseaux sociaux numériques aux blogs en passant par les listes de diffusion traditionnelles et les plateforme VoIP (dicords) qui augmentent la portée du phénomène. Les œuvres issues des maniements des outils et techniques numériques posent d’autres problèmes d’étude et d’analyse (volatilité des objets, obsolescence des techniques, droits d’auteurs, etc.).

           L’usage du numérique touche également la gestion et l’exploitation documentaire, à travers des logiciels de structuration et de citation des données bibliographiques (tels que Zotero ou Refworks par exemple). La bibliothèque Georges Lefebvre est déjà bien avancée dans le maniement de ces outils qui facilitent l’accès des lecteurs à des ressources bibliographiques et documentaires importantes. La gestion automatique des citations n’est pas sans conséquence sur ce qui constitue l’un des fondements de la méthode historique telle que nous en avons hérité. Ces logiciels rendent surtout caduques les difficultés inhérentes aux normes de citation, en renforçant et stabilisant la structuration des informations bibliographiques. En effet, Zotero par exemple (mais c’est le cas de tous les logiciels en question) distingue les métadonnées enregistrées pour chaque référence, qui peuvent être extrêmement complètes, de la façon dont cela sera cité dans un article ou autre (par exemple le « style de citation » qui, lui, dépendra des normes de la revue destinataire du papier).

            La révolution numérique n’est pas sans effet sur les modes d’écriture des historiens et historiens de l’art : les liens hypertextes engagent des formes de destructuration du récit historique qui nous interrogent. Friedrich Kittler signalait dès les années 1980 combien le renouvellement des outils de l’écriture, la machine à écrire à son époque, renouvelait le processus d’écriture historique parce qu’il intervenait dans la conformation de nos modes de pensées et d’argumentation. Loin d’adopter une posture mécaniste qui lierait automatiquement les outils de l’écriture et son contenu, nier tout type de relation entre les deux serait naïf : le numérique implique bien une remédiation et un bouleversement des modes de composition textuels qu’il s’agit d’analyser.

2. Développer l’usage du numérique par les sciences historiques, artistiques et archéologiques

            À plus petite échelle enfin, il est important de noter que l’usage du numérique impose des recompositions disciplinaires tant à l’intérieur des sciences historiques (entre histoire, histoire de l’art et archéologie) que dans nos relations avec des disciplines relevant des sciences et technologies ou encore des sciences de l’information et de la communication. L’IRHiS qui a établi des relations avec des laboratoires d’informatique, de géomatique, de sciences cognitives ou de sciences de la communication mesure l’intérêt mais aussi les questions que soulèvent de telles collaborations.

            En mobilisant ces réflexions critiques collectives et en s’adossant aux multiples expériences des membres du laboratoire dans ce domaine, l’axe transversal soutiendra et encouragera l’appropriation des méthodes et techniques numériques par ses membres.

            À ce stade, plusieurs directions sont explorées à partir des projets menés ces dernières années par les membres du laboratoire :

– Système(s) d’acquisition d’informations (visuelles, quantitatives, bibliographiques…)
– Instruments de visualisation/reconstitution pour la recherche (de la cartographie à la restitution 3D)
– Les instruments de la recherche et de la médiation numérique (expositions virtuelles, réalité augmentée, etc.)
– Usage du numérique dans le champ de la formation avec le développement de nouveaux supports pédagogiques et une réflexion critique sur leurs apports et leur pertinence.

            Sur ces terrains (dont la liste est amenée à évoluer en fonction des besoins exprimés par les membres du laboratoire), l’axe transversal soutiendra les projets tant d’un point de vue matériel et financier que du point de vue de la formation. Il s’agira donc aussi de mettre les compétences des membres du laboratoire au service du collectif : de l’aide à l’élaboration des projets jusqu’à des propositions de formation à des méthodes et des techniques spécifiques.

            En outre, l’installation des réserves du musée du Louvre, dans un bâtiment construit à cet effet à Liévin (opérationnel en 2020), près du Louvre-Lens, ouvre des perspectives de collaborations fondamentales, avec le Louvre en Région, dans le domaine du numérique et de la visualisation 3D, tant dans la recherche fondamentale que dans la médiation auprès des publics. C’est ainsi, par la mise en œuvre des nouveaux outils numériques que le laboratoire et ses équipes pourront répondre au mieux aux appels à projet et aux possibilités de financement doctoral offert par l’I-Site de Lille .

L’axe se propose d’organiser un séminaire transdisciplinaire bi-mensuel, pour des séances de 2 h (6 séances maximum par an), sur le modèle, par exemple, des Lundis numériques de l’INHA ou, de ce qui fut organisé le 8 mars 2018 au cours d’un workshop intitulé « Patrimoine, modélisation numérique et systèmes d’acquisition d’information : les enjeux actuels de la recherche ». Il s’agira, à partir de retours d’expériences concrets, de confronter des points de vue disciplinaires (1 à 2 intervenants par séance, avec rapporteur(s)).

Les programmes actuels :

– Tableau des projets numériques auxquels participent les membres de l’IRHiS (annexe 10)
– Structure fédérative de recherche, Numérique & Patrimoine (responsables : El Mustapha Mouaddib, MIS-Univ. Picardie-Jules Verne, Étienne Hamon, IRHiS-ULille)
– Base « Civinov » (responsable : Élodie Lecuppre, IUF)
– Base « Monuments aux morts » (responsable : Martine Aubry)
– Mapping [Mairie de Cambrai, Foligraf, IRHiS] "La Bataille de Cambrai" (nov. 1917)